• Sa moto filait à toute allure surla nationale vide. A quatre heure du matin quoi de plus normal. Aux yeux d’ Heilin ce moment était son préféré : aucune limitation de vitesse, aucun policier un peu trop à cheval sur la loi mais surtout, pas de téléphone brisant le silence reposant. 
    C’était sa petite demi-heure de calme et de folie morbide. Frôler la mort hors de son travail lui donnait l’impression fugace de pouvoir absolu sur son destin. Et en tant qu’Headhunter, la vie de Heilin était plus en danger que celle de n’importe quel citoyen moyen d’Helldown, la Cité des Noirceurs. Vaste lieux que cette ville sombre abritant Humains et Monstres en tout genre. Située à une centaine de kilomètres de Los Angeles, Helldown avait donné asile à plus des trois quarts de Non Humains résidant aux Etats-Unis. Tout cela parce que c’était la seule ville dans tous le pays qui n’était régit par aucun Arrêté présidentiel visant à compter les Monstres comme des moutons dans leurs prés. Certaines personnes comparaient cette époque avec celle du « règne » d’Hitler. 
    Un comble pour les Libérateurs de l’Europe. 
    Pour Heilin et beaucoup d’autres, elle ne se plaignait pas trop des idées un brin despotique du Président, ça lui avait permis de ne pas se retrouver en dépression dû au manque de boulot et prochaine chef de rayon poissonnerie du supermarché en face de chez elle. 
    A cette pensé, la jeune femme rigola. Elle gara sa moto dans le garage de son immeuble. Elle ferma la grande porte et remonta jusqu’au premier étage grâce à l’ascenseur. Le seul moyen pour les résidents de monter jusque chez eux. 
    Depuis la découverte des Non-Humains parmi les Humais, tout partait en vrille. Beaucoup d’Humains ne voulaient plus travailler en présence de Monstres et faisaient donc des grèves à répétitions pour renvoyer leurs collègues. Le pire de tout était le secteur de construction, une grande majorité des ouvriers refusaient de suivre les plans prétextant que les Monstres n’avaient pas besoin de toutes les normes de sécurité ; Ils survivraient à tout. 
    Bien sûr… Et les Humains qui habitaient ces immeubles ? 
    Heilin ouvrit la porte de chez elle. Son appartement était grand, sobre et surtout, très vide de vie. N’étant jamais très longtemps chez elle, tous les murs étaient dénudés de photos ou de tableaux. Tout était gris très mât avec du blanc cassé. 
    La cuisine, elle-même, dans le pure style américain, aurait pu être revendu telle quelle. N’ayant jamais servi ou vraiment si peu. 
    Heilin se dirigea vers sa chambre, mélange de bleu et prune. Une grande porte-fenêtre donnait sur un balcon très long couvert de plantes et de fleurs. Le seul luxe qu’elle se permettait dans sa vie. 
    Elle prit une rapide douche et s’habille d’un jean bleu foncé, de bottes montant jusqu’aux genoux et d’un t-shirt, sans manches, noir. 
    Elle plaça des lames dans ses chaussures et sous son t-shirt. Son Gluck et son Browning finirent dans son sac en bandoulière. 
    Son credo : tout à porter de main. 
    Elle ressortit de son appartement et redescendit dans le garage. Cette fois, Heilin prit sa petite Citroën bleu foncé. Elle provoquait moins de sensations fortes mais était bien plus pratique pour sa soirée. 
    Le chemin jusqu’à son lieu de rendez-vous se passa dans le silence le plus complet.
    Pas une musique ! Pas un bruit ! 
    Rien qu’elle et son souffle

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  • Elle gara sa voiture près d’une boîte de nuit : « Dead Cooking ». C’était l’une des boîtes les plus branchées de la ville… Chez les Non-Humains. Elle était tenue par Donovan, un Tigre-garou complètement cinglé. 
    Heilin n’aimait pas trop s’y rendre mais l’une de ses amies ne jurait que par ce lieu soi-disant « extraordinaire ». 
    Extraordinairement glauque selon elle. 
    Heilin passa le videur au crâne rasé, l’œil acéré et la bave aux lèvres. Un véritable chien de garde enragé. La jeune femme fit le tour des lieux du regard en haut des escaliers principaux. Elle sourit en repérant deux jeunes femmes accoudées au bar loin de la foule. 
    L’une d’elle avait des cheveux méchés blonds, châtain clair et rouges ainsi que des yeux bleus brillants sous les lumières de la piste. Cette jeune femme de vingt-quatre ans portait le doux nom de Kera Harrisson. 
    La seconde, un brin plus grande que la première, possédait une longue chevelure brune bouclée et des yeux verts parfois chocolat suivant la luminosité environnante. Loann, du même âge que sa camarade, avait la peau métissée et un sourire à faire tomber n’importe quel mâle qui passait près d’elle. 
    Toutes les deux voguaient entre les deux Territoires. Kera faisait partie des Sorcières tout en étant Ingénieur Son. Loann était Princesse des Ombres mais aussi Médecin. 
    Heilin les rejoignit d’un pas sûr sans s’arrêter malgré la foule. 

    « Je vous ai manqués ? » Sourit-elle en prenant place au comptoir à gauche de Loann. 

    Ses deux amies lui sourirent chaleureusement. 

    « Mince, tu n’es pas morte. » Ricana Loann en vidant son verre cul sec. 

    « Quelle a été ta proie aujourd’hui ? » S’enquit Kera toujours charmante. 

    « Un Faye… Ce débile est sortit de leur territoire sans permission Humaine. » 

    Les deux ricanèrent. Les Fées et les Fayes n’avaient plus le droit de quitter leurs pays, délimités scrupuleusement, sans une autorisation de sortie délivrée par les Gardiens. Ces derniers étaient des humains choisis pour garder les seules entrées et sorties de leur monde, sous peine de se retrouver classé « Gérim », c'est-à-dire, des créatures pouvant être chassées et tuées par un Headhunter. 

    « Tué ? » 

    Heilin haussa les épaules. En vérité, Heilin était une Headhunter renégate : L’un de ces anciens tueurs à gage nommés par l’Etat pour faire le sale boulot dans le secret le plus total mais qui avait, à un moment donné, brisé la loi du silence. Elle avait toujours le droit de tuer mais si jamais la police lui tombait dessus, l’Etat fermerait les yeux sur son statut et la tuerait.

    «Alors ? Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ? » Finit-elle par demander après avoir commandé son second verre d’alcool fort. 

    Kera et Loann se regardèrent un petit moment avant de déclarer.

    « Les Autres s’agitent de plus en plus pour le moment. Ils pensent avoir découvert qui se cache sous le nom de Chaos. »

    « Des rumeurs ? » S’enquit-elle, les sourcils froncés.

    « Plus que cela, cette fois-ci ! »Répondit Kera. « Les Garous essayent de se faire les plus petits possibles pour ne pas te trahir mais certains commencent à penser qu’ils feraient mieux de te balancer aux Autres une bonne fois pour toute. » 

    « Charmant ! » Grimaça-t-elle. 

    Les Autres… Un terme bien poli pour nommer les dirigeants de Helldown. 

    « Et… » Hésita la Sorcière. 

    Heilin les dévisagea, attendant la suite.

    « Dageus aimerait te rencontrer le plus rapidement possible. » 

    « Il exige, tu veux dire ! » 

    Loann haussa les épaules. Dagueus Morrelli était le nouveau chef des Tigres. Lors de son ascension au pouvoir, il avait laissé une petite surprise à ses troupes pour leur faire passer l’envie de se rebeller. Il avait trouvé amusant d’écorcher le vaincu et de l’accrocher à la Tour de Justice pour que son corps se fasse dévorer par les volatiles de la ville. La Tour de Justice, le seul endroit à Helldown où tous les Non-Humais sont jugés par les Humains. 
    Autant dire que l’acte de Dageus avait fait couler beaucoup d’encres dans les journaux durant bien longtemps. 

    « Les Monstres sont de sorties ! » Grogna Loann en regardant la piste de danse. 

    A voir de visu, n’importe quelle personne passant par là n’aurait juste vu que des humains dansant collés-serrés mais pas pour ces trois-là. Elles, elles avaient l’habitude de côtoyer des Non-Humains et parvenaient donc à sentir leurs… auras. Cette petite lumière de différentes couleurs qui flottaient au-dessus de chaque tête. 

    « Salut ! » Leur lança un grand type aux yeux dorés avec des cheveux blonds méchés de noir. 

    Matt Finigan était le type même de l’homme parfait qui peut porter un sac poubelle sur sa tête tout en restant sexy à mourir. Le seul bémol chez ce mâle en puissance se définissait par un seul mot : Léopard. 

    « Vous ne dansez pas ? » Questionna-t-il en souriant, faisant ressortir la blancheur de ses dents parfaites. 

    Heilin grimaça légèrement. Elle détestait les hommes parfaits sur eux. Si elle n’avait jamais su que ce grand corps sculptural ne se recouvrait pas de poils au moins trois fois par mois, elle n’aurait pas su supporter sa présence. 
    La perfection avait, à ses yeux, un petit quelque chose de vraiment dérangeant. Pareil à un mensonge honteusement affiché aux yeux de tous mais que personne ne remarquait. 

    « Allez ! Viens danser ! » Lança-t-il joyeusement en tirant Heilin par la main. 

    Elle essaya de se retenir en agrippant Loann mais cette dernière se désista en lui faisant un signe de la main. La jeune femme répondit par un geste très grossier qui provoqua l’hilarité chez ses amies. 
    Matt se plaça au centre de la piste et se mit à… se déhancher. Il n’y avait pas de mots pour décrire les gestes sensuels qu’il faisait en cet instant précis. Tout le monde était vraiment serré comme dans une boîte à sardine. Une énergie brûlante comme de la braise se mit à s’amasser dans la pièce. Heilin jeta un regard perdu à ses amies mais ces dernières étaient bien trop occupées à éviter de se laisser toucher par cette énergie pure appelé aussi Bifröst.
    Rien de pire pour une Sorcière et une Ombre que la puissance des Garous. Ils y réagissaient généralement comme des junkies face à une drogue. 
    Matt la fit tourner sur elle-même et l’entraîna dans une danse endiablée. L’énergie monta au-dessus d’eux et les doucha comme une pluie fine attisant le feu tapi au fond des danseurs. Heilin sentit les poils de ses bras et ses cheveux se hérisser.
    Les musiques se succédaient sans que personne ne s’arrête sauf quelques Humains vaincus par la Bifröst. Un homme aux cheveux noirs courts avec une longue tresse sur le côté de son visage, des yeux verts profonds pailletés de rouge, se serra contre Heilin, à la limite de la décence. Il baissa son visage vers son cou et suçota rapidement sa peau. Il se releva en se léchant les lèvres avec gourmandise tout en la fixant de son regard hypnotisant. 
    Heilin porta une main à son cou en dévisageant l’inconnu. Elle sentit son estomac se nouer et une étrange chaleur prendre possession de ses sens. Pourtant il n’y avait aucune concupiscence dans ses gestes, juste une curiosité animale. Matt tira Heilin à lui en fusillant le nouvel arrivant du regard. La jeune femme rigola légèrement. Un homme jaloux était vraiment risible. 
    La chanson s’arrêta enfin. Tous les danseurs aussi. 
    Elle sentit une main frôler son dos et la faire frissonner. Elle se tourna et tomba dans un regard couleur forêt. Le genre de forêt que l’on regarde avec méfiance parce qu’au fond de soi, on sait qu’au moindre faux pas, on se perdra éternellement. 
    La chaleur qui s’était installé dans son corps se propagea un peu plus, amenant une légère rougeur à ses joues d’ordinaire pâles. 
    La musique reprit. 
    Heilin s’éclipsa mine de rien pour rejoindre ses amies. 

    « Alors ? Tu te fais draguer ? Il est pas mal, j’avoue ! » Se moqua Loann. 

    « Et toi, tu n’es pas en chasse ? » Grogna la Headhunter en vidant son verre cul sec. 

    Loann se renfrogna un peu. 

    « Je peux pas. Je suis de garde cette nuit. »

    « Pas de bol ! » 

    Loann la fusilla du regard mais Heilin lui répondit par un sourire innocent. Kera leva les yeux au ciel, amusée. A chaque fois, c’était pareil : Ces deux-là se disputaient sans fin en se lançant des piques stupides à la figure pour un oui ou pour un non. 
    Heilin avait remarqué que le nombre de gens dans la boîte avait doublé depuis une heure. Principalement des garous en tout genre. L’air devenait, par contre, un peu plus respirable. Ils avaient sans doute actionné la ventilation magique pour évacuer la surcharge d’énergie magique. Heilin se dirigea vers un comptoir pour commander de nouvelles boissons mais les serveuses du bar étaient plus occupées à draguer les types de la boîte que par leur travail. Elle soupira d’impatience mal contenue. Elle vit Kera se tendre comme un arc quand un type assez grand, bien foutu, se planta dans son dos. Elle ricana en reconnaissant le danseur qui lui avait tourné autour sur la piste. Elle fronça les sourcils soudainement en sentant une énergie folle se dégager du corps de l’inconnu. Elle se surprit à vouloir reculer pour se délecter de la chaleur de son corps et de son énergie. Une force écrasante et étouffante se dégageait de ce parfait inconnu. L’une des serveuses arriva d’un coup en trottinant et dodelinant son fessier tout plat. 

    « Quatre vodkas blanches! » Ordonna-t-il sans élever la voix. 

    La serveuse ne se le fit pas dire deux fois et servit les verres sans le quitter des yeux mais son poisson ne mordait pas à l’hameçon, trop occupé à fixer la jeune femme devant lui. 
    Heilin prit les verres, les posa devant ses amies, avala le sien sans un mot et se dégagea pour retrouver Matt dans la foule. L’homme la rattrapa en deux enjambées. Il paraissait avoir été taillé dans un chêne centenaire. Sa tresse, qui lui arrivait aux reins, balayait l’air devant lui. Heilin se surprit à vouloir la détacher pour sentir la texture de ces cheveux sous ses doigts et sentir son odeur particulière couler sur elle. Elle chassa ses idées néfastes en se faisant des remontrances intérieures. 

    « Vous êtes bonne danseuse ! » Sourit-il la prenant par surprise.

    « Vous vous défendez pas mal aussi ! » 

    Ils se fixèrent avant de se sourire plus chaleureusement. 

    « Dageus. » Se présenta-t-il. 

    Heilin resta statufiée un moment avant de se reprendre. Elle croisa les yeux de Kera. Il ne fallu pas de mots entre elles pour savoir dans quel guêpier elle venait de se fourrer. Kera sortit Loann de sa transe d’un coup de coude et lui montra les deux jeunes gens se faisant face près de la piste de danse. Heilin reposa ses yeux sur l’homme en face d’elle. Elle commença à sentir l’angoisse s’insinuer en elle tel un serpent vicieux coulant vers sa proie. 

    « Heilin Davidson! » Finit-elle par avouer. 

    Elle se serait bien foutue des claques pour sa bêtise. Elle venait de donner son nom au chef des Tigres. Elle aurait tout aussi bien pu lui refiler sa carte de visite avec son numéro de portable et son adresse… Peut-être un plan jusqu’à son appartement en cadeau. 

    « Enchanté Heilin! » 

    Il se baissa pour lui baiser la main délicatement. Son souffle chaud caressa la peau de la jeune femme comme une plume et lui donna des frissons du bas de son dos jusqu’à la racine de ses cheveux noirs. Il la tira sur la piste de danse et la fit danser avec lui. L’un contre l’autre. Heilin se sermonna en se disant que si elle ne s’arrêtait pas bientôt, elle allait tomber dans les bras d’un inconnu pas très Humain. Le rythme de la musique se fit plus lent puis plus rapide. Dageus avait suivit le tempo dans son dos, ses mains sur ses hanches, la forçant à l’accompagner. Le cœur de la jeune femme battait la chamade. La Bifröst avait repris de l’intensité. Elle pressait les danseurs les uns contre les autres et se nourrissait d’eux. Certains étaient sueurs, à la limite de l’évanouissement. 
    Les bras bougeaient, se levaient, se touchaient. Les corps étaient trempés d’énergie et de sueur. Les yeux brillaient de désir ou se fermaient sous la force de la Bifröst. 
    Les Garous portaient leurs congénères et les Humains au-delà de la musique voir de la réalité. Il ne restait que cette énergie brutale qui sortait, inondait et broyait tout sur son passage. Comparer ce phénomène à une mer déchaînée n’aurait pas suffit pour le décrire dans sa justesse. 
    Tous pouvaient sentir le sol trembler sous leurs pieds. 
    Plus rien n’avait d’importance. 
    Et c’était bien là le danger quand un Humain restait avec un Non-Humain : son énergie magique contaminait l’Humain et le guidait tel une dose de crac amenait le junky à elle. 
    Dageus fit tourner Heilin devant lui, se colla plus près et suivit un rythme bien à lui. Il ne décrocha pas ses yeux verts de ceux de la jeune femme. 
    Pouvait-il voir leurs couleurs dorées sous les lentilles noires ? Il était si près d’elle. 
    Ses lèvres frôlaient parfois les siennes mais jamais assez longtemps pour un baiser. 
    Il murmura quelque chose à son oreille mais elle ne comprit pas ce qu’il disait. Il sourit simplement à ses questions muettes avant de déposer ses lèvres à la base de son cou. Il mordit légèrement la chaire la faisant sursauter. Heilin lui jeta un regard mi colérique mi sceptique. Colérique parce qu’elle ressentait à nouveau cette satané chaleur parcourir son cœur et sceptique parce qu’il jouait avec le feu en la mordant. Il suffisait d’une toute petite fois pour qu’elle se retrouve couverte de poils la nuit suivante.
    Il posa son front contre le sien en s’arrêtant de danser.
    Ils restèrent au milieu de la piste sans bouger. Pas un mouvement. 
    Les autres, eux, continuaient de se laisser porter au grès de la musique et de la Bifröst. 
    Heilin posa ses mains sur la chemise blanche de Dageus légèrement ouverte sur une peau bronzée. Son énergie pulsa sous ses paumes. Sans prévenir, il la souleva et passa les jambes de la jeune femme autour de sa taille. Leurs visages se trouvaient à deux millimètres l’un de l’autre. Heilin n’aurait eu qu’à se baisser très légèrement pour sceller leurs lèvres. 
    Pourtant elle ne fit plus un mouvement, même son souffle se bloqua dans sa gorge. Rien ne comptait que ce regard vert forêt dans lequel elle décela une pointe de doré. 
    Les doigts de Dageus rentrèrent dans le bas de son dos. 

    « Qui es-tu ? » Lui demanda-t-il subitement. 

    Son regard vert tourna au rouge rosâtre. 

    « Il y a tellement de choses en toi… » Lui dit-il. 

    Pas une seule fois, il n’avait élevé la voix pour se faire entendre malgré la musique. 

    « Qui es-tu ? » Redemanda-t-il. 

    « Je… » Commença Heilin, subjuguée, mais elle fronça les sourcils et se jeta en arrière forçant Dageus à lui tomber dessus. 

    Une balle se figea sur le sol aux pieds de Dageus. En un clin d’œil, la salle se vida, la musique s’arrêta. Les Garou avaient pris les Humains et s’étaient sauvés avec eux. Très efficace. 

    Heilin fit un signe à ses amies de rester là où elle était. Kera lui fit apparaître son Gluck grâce à un sort très léger. Heilin le pointa sur Syrpha. Elle grimaça de dégoût et de fatalisme. La soirée allait se finir par un bain de sang. 

    « Mais qui vois-je ? » S’exclama Syrpha de son perchoir improvisé. 

    Syrpha était dix centimètres plus grande qu’Heilin, des cheveux rouges sang courts et des yeux noirs vides de toute humanité. Elle pointait ses armes sur Dageus et Heilin. 

    « La célèbre Chaos aurait retourné sa veste en s’acoquinant d’un déchet de l’humanité. » 

    « Ma chérie, le seul déchet que je vois ici, c’est toi ! » Cracha-t-elle ironiquement. 

    Syrpha descendit de sa cachette d’un bon gracieux et atterrit à quelques mètres du couple sur la défensive. Heilin jeta un regard à Dageus mais ce dernier était très calme et serein si ce n’était ses yeux devenus vermeils. 

    « Je suis déçue que la grande Chaos soit du côté des Monstres. Je te pensais plus maligne. » 

    Heilin ne répondit rien. Après tout, elle avait son arme pointée sur elle et l’ennemi public numéro un à ses côtés. 
    Coupable, crierait n’importe quel juge Humain. 
    Une balle siffla à son oreille. 
    Son doigt pressa la détente de son Gluck dix-huit, chambré neuf millimètres Parabellum. Autrement dit, Heilin avait entre ses mains un petit pistolet mitrailleur qui tirait plus vite que n’importe quelle autre arme légale dans son métier. 
    Heilin fit mouche plusieurs fois. Syrpha se retrouva devant elle, à cinq mètres, son bras droit en sang, sa clavicule droite éclatée, sa jambe placée dans un angle étrange mais toujours debout, l’arme au poing. 
    Elle fit feu. 
    Heilin voyait déjà la balle entrée dans sa chaire. Se battre à l’arme à feux, c’est super mais vu les réflexes qu’il faut avoir pour éviter une balle, mieux vaut éviter les soirées arrosées. 
    Ca augmente un peu la durée de vie. 
    Une masse tomba sur Heilin, lui évitant de se prendre la balle. Elle ouvrit les yeux après l’impacte de son corps sur le sol. Dageus se tenait juste au-dessus d’elle et regardait Syrpha avec une expression monstrueuse. Heilin sentit, à nouveau, la chaleur s’emparer de son corps puis le froid l’envahir quand il la quitta. 
    En deux secondes à peine, il se trouvait sur l’ennemi à lui broyer la main qui tenait l’arme. Syrpha hurla avant de se retrouver exploser contre un mur. Elle émit un gargouillis indescriptible puis tomba face contre terre dans un bruit étouffé. Heilin se releva difficilement. Le choc avait été rude pour elle. 

    « Etes-vous ici pour me tuer ? » Demanda Dageus en dévoilant une série de dents un peu trop aiguisées au goût de Heilin. 

    « Elle est ici parce que vous voulez la voir ! » Intervint Loann en se plaçant devant son amie alors que Kera aidait l’Headhunter à se relever. 

    Donovan, le propriétaire du « Dead Coonking » arriva devant eux en trombe et s’agenouilla devant Dageus. Le Tigre Garou, au sol, était le parfait opposé de son homologue : longiligne, des cheveux blond cuivré longs, des yeux jaune orange et une attitude dédaigneuse au possible. Mais le plus choquant chez lui se trouvait étalé sur son corps comme une pancarte à néon : des tas des cicatrices parfois boursouflées, d’autres fois lisses, rouge sang ou rose clair. 

    « Je suis à vos ordres, Majesté. » Grogna-t-il de mauvaise grâce. 

    Dageus ne le regarda même pas. Son attention semblait être accaparée par une toute autre personne : Loann ne l’avait pas lâché des yeux une seule fois durant l’arrivée de Donovan. 

    « Tu es la Princesse des Ombres, n’est-ce pas ? » 

    Le sourire de Loann, très sardonique, fit lever les yeux de ses deux amies vers le ciel. 

    « Elle-même. » 

    « Retourne chez toi ! » Ordonna-t-il d’une voix sèche. « Tu n’as rien à attendre ici et si la police te tombe dessus, les miens auront des problèmes…. Et toi avec ! » 

    Loann serra les poings de mécontentement mais elle ne le contredit pas. Si les Humains la reconnaissaient, ils la feraient pendre et tous ceux qui auraient pu être en contact avec elle par la même occasion. Le Clan des Ombres dont elle faisait partie était pourchassé par les Humains et massacré sans somation. Les Sorciers, eux-mêmes, étaient mieux traités que les siens. Parmi les Non-Humains, les Ombres étaient en tête de liste rouge gouvernementale. 

    « Je vous appelle ! » Lança-t-elle à ses amies en disparaissant. 

    Dageus s’approcha de Syrpha, toujours étendue sur le sol. Il claqua des doigts. Deux Tigres Garou apparurent, se saisirent de Syrpha et partirent avec leur fardeau. 
    Il se tourna, ensuite, sur les deux jeunes femmes silencieuses mais sur la défensive. Heilin remarqua Matt avec d’autres Garous qui les dévisageaient allègrement. 

    « Alpheus ! » S’exclama la Headhunter, surprise de voir une femme d’une cinquantaine d’années, aux cheveux acajou et les yeux bruns, s’avancer vers eux. 

    Dageus la salua d’un signe de tête poli. L’Alpha des Léopards, ou leur patron, sourit à la jeune femme et l’embrassa sur les deux joues. Par contre, elle snoba la Sorcière. 
    Kera grogna légèrement de mécontentement. Elle savait l’aversion des Garou pour les gens de son espèce mais y être confronté de visu était une autre histoire. 

    « Le temps n’a vraiment aucune emprise sur vous ! » S’amusa Heilin pour détendre la Léopard. 

    Cela fonctionna plutôt bien : Alpheus ricana en reportant son attention sur la jeune femme. L’Alpha était celle qui avait donné à Heilin son surnom de Chaos et invité au sein de la communauté Garou. Il y avait donc un lien étrange entre les deux femmes. 
    Heilin et Kera remarquèrent les autres chefs Garous présent derrière la Léopard : Irisia pour les Rats, Joséphine pour les Guépards et Michal pour les Jaguars. 
    Le seul absent était le chef des Loups. Comme toujours. Les Loups n’avaient, à proprement parlé, aucun clan de formé…. Même sommaire. 

    « Que se passe-t-il ? » S’inquiéta Kera. 

    Dageus posa enfin son regard sur elle ainsi que tous les autres Garous comme si, tout à coup, elle venait de faire un tour saisissant. 
    Kera resta maîtresse d’elle-même malgré son agacement. 

    « Nous avons besoin que tu enquêtes pour nous ! » Expliqua Alpheus à Heilin. « Et que ton amie nous aide pour protéger nos territoires. »

    « Pourquoi ? » S’étonna Kera. 

    « Depuis que nos Clans se font attaquer. » Tonna la voix de Dageus dans le silence de la salle. « Des Tueurs éliminent les nôtres les uns après les autres. » 

    « Vous avez essayé de les poursuivre grâce à leurs odeurs ? » 

    « Ca a été notre premier réflexe, Bébé. » Rigola Donovan en fixant la Headhunter avec un regard de psychopathe. « Mais ça n’a rien donné. Ils n’avaient pas d’odeurs. » 

    Kera et son amie se regardèrent, surprises et sceptiques. 

    « Tous les Tueurs, Headhunters ou pas, sont Humains à Helldown. » Commenta Heilin. 

    « Il faut croire que des Non-Humains sont arrivés sous peu. » 

    Les deux jeunes femmes secouèrent leur tête, incrédules. Si les Monstres se tuaient entre eux, la situation géopolitique allait devenir bien compliquée. Déjà qu’elle n’était pas simple à la base. 
    Heilin réfléchit un instant et ne vit qu’une personne capable de les éclairer sur de potentiels nouveaux venus.

    « Ed doit savoir ce qu’il se trame. Je vais le voir. » Décréta-t-elle. 

    « C’est une demande officielle ? » Demanda Kera aux dirigeant Garous. 

    « Plus qu’officielle ! »

    La jeune femme hocha la tête. Elles se regardèrent à nouveau et sourirent en sortant après avoir salué tous les dirigeants. Une fois sortie, Heilin lança :

    « C’était instructif Loann ? » 

    La princesse annula le sort d’Ombre qu’elle s’était posée et sourit innocemment. 

    « Plutôt. Je vais me renseigner de mon côté. » 

    « Fais attention à toi ! »
    S’écria Kera alors que leur compagne disparaissait dans une ruelle sombre. 

    « Vous aussi. » Ricana-t-elle. 

    Kera et Heilin s’arrêtèrent devant leur voiture respective. 

    « Ca ira ? » S’inquiéta la Headhunter. 

    Kera lui sourit. 

    « Et toi ? » 

    Heilin ne répondit rien. Elle entra dans sa voiture et démarra. 
    Trois ans qu’elles se connaissaient mais aucune ne voulait l’aide des deux autres pour les protéger.

     

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  • Heilin enclencha le contact et réfléchit à l’endroit où pouvait se cacher Edward. 
    Ce dernier était un ancien Headhunter qui avait viré sa cuti quand il avait découvert que ses patrons cachaient plus qu’ils ne divulguaient d’information. 
    Il avait donc décidé de se servir de ce qu’il avait appris et entendu pour monter sa propre boîte. Il avait tenu dix ans entre son trafic et son boulot de Headhunter. Jusqu’à ce que ses coéquipiers ne découvrent le poteau rose et n’essayent de l’éliminer. 
    A présent, sa priorité était sa survie. 
    Heilin avait tout appris de lui sur son métier. Elle le connaissait donc suffisamment pour savoir qu’il se cacherait dans le lieu le plus sur de la ville : le pont Ygdrasil. Ce dernier avait été construit par neuf Sorcières qui avaient élu domicile dans leur charmante ville. A présent, Ygdrasil était indétectable aux simples mortels qui ne voyaient en lui qu’un pont tout à fait banal qu’ils devaient traverser d’une traite sans arrêt possible. 
    Heilin posa un pied après la frontière entre le monde normal et celui des Sorcières. Une sensation de froid l’envahit. Elle se demanda un instant comme Ed pouvait habiter sur ce pont sans rien ressentir. Il avait sûrement monnayé un sort de protection contre des informations que ça ne l’étonnerait pas du tout. Ou alors il avait vendu sa mère... C'était aussi plausible.
    Heilin finit par envoyer toute son énergie dans son cerveau pour l’obliger à ne pas écouter cette voix autoritaire qui lui commandait de passer son chemin le plus vite possible. 

    « Ed si tu ne ramènes pas tes fesses ici, je crois que tes copains seront ravis de te revoir ! » Hurla-t-elle.

    Un peu d’intimidation ne serait pas de trop pour faire sortir le rat de son trou. 

    « Que fais-tu ici, fillette ? » Gronda une voix bourrue qu’elle aurait reconnue les yeux bandés. 

    Un homme d’un mètre septante cinq – à peu près-, approchant les cents kilos, les cheveux grisonnants, les yeux noirs injectés de sang lui fit face. 

    « T’as une sale tronche, Ed. » 

    « Et toi, tu irradies ! » Ironisa-t-il. 

    Ils se sourirent. Edward posa une de ses grosses mains boudinées sur l’épaule de son ancienne élève. La sensation de froid et cette envie de prendre ses jambes à son cou la quittèrent aussitôt. 

    « Tu as vendu ta mère pour réussir à te cacher ici ? » 

    « Ma mère est morte depuis bien longtemps, petite ! » Répondit-il en la faisant entrer dans une petite cabane éclairée à la bougie et chauffée…. Elle ne savait pas trop comment au juste. « Que t’arrive-t-il pour que tu viennes m’emmerder ? » 

    « Les meurtres des Non-Humains à Helldown. » 

    « Ouais, je suis au courant. » Bougonna-t-il en allumant une cigarette. « Ne t’en mêles pas, fillette. Ca serait une mauvaise idée. » 

    « Pourquoi ? » 

    Il la sonda du regard puis soupira en rejetant la fumée de son futur cancer. 

    « Tu ne pourras rien y faire. Rien du tout. Ce n’est pas de ton ressors, gamine. » 

    Heilin ne rétorqua rien et le laissa la sonder à son aise. Edward était télépathe mais avec toutes les saloperies qu’il ingurgitait à longueur de temps, ses dons s’étaient amoindris. Peut-être même étaient-ils devenus inexistants. Cependant, un fait restait clair pour elle, ce ne serait pas les cochonneries qui le tueraient mais ses propres démons. 

    « Je vois. » Râla-t-il en jetant sa cigarette par terre et l’écraser à même le sol. « Les assassins sont bien des Non-Humains mais aucun des leurs ne vit encore ici. » 

    Heilin fronça les sourcils avant d’avoir un éclair de géni.

    « Des Vampires. »

    « Bingo… »

    « Ils font le nettoyage avant de venir s’installer à Helldown. » Conclue-t-elle. 

    Edward opina de la tête en allumant une seconde saloperie. Il rejeta une nouvelle fois la fumée. 

    « Ouais, c’est le grand ménage de printemps, gamine. C’est pour ça qu’il ne faut pas t’en mêler. Laisse-les tuer autant qu’ils veulent. Fais-toi petite. Ca vaudra mieux ! » 

    « Tu as changé Ed. » Le coupa-t-elle. « Le Ed d’avant serait entré dans la bataille sans poser de questions si ça lui permettait de tuer. »

    « Le Ed d’avant était un sombre crétin. » S’écria-t-il en colère. 

    Heilin émit un sifflement moqueur et le laissa dans sa fange. Elle sortit de là en colère, déçue, frustrée mais surtout horrifiée. 
    Ou était-ce tout simplement de la peur ? Peur de devenir comme lui ? 
    A force de côtoyer la mort, d’être pourchassée, devrait-elle se cacher comme son mentor ? Jusqu’à en oublier ses jours de gloire dans des saloperies qui la tueraient aussi sûrement que le feraient ses adversaires ? 
    Peut-être qu’en priant assez fort, assez longtemps, n’en arriverait-elle jamais à ce point-là. 
    Qui pouvait le savoir au fond ? 
    Mais prier qui ? Quel dieu ou déesse pourrait l’empêcher de sombrer dans la folie comme tous les Headhunters avant elle ? 
    A croire que la folie et l’autodestruction étaient une maladie héréditaire chez eux. Il suffisait de voir Syrpha qui était devenu complètement dingue mais qui restait un Headhunter reconnu. La jeune femme pleine d’idéaux avait fait place à une folle assoiffée de sang et de violence. Pourtant, il ne s’était écoulé que deux ans depuis son admission parmi eux. 
    Heilin soupira. Elle se souvenait parfaitement du jour où elle avait décidé de se joindre aux HeadHunters. Ils l’avaient harcelé pendant des mois avant qu’elle n’accepte. 
    Tout cela parce qu’elle possédait du sang de garou, qu’elle était plus résistante qu’un Humain normal et qu’elle avait une capacité propre à son espèce.
    Un sang dont elle se serait bien passé. Elle sentit son estomac se contracter en repensant à tout cela. Chaque Headhunter possédait une particularité dans son sang. Ils étaient Humains sans réellement l’être. 
    Heilin regarda ses mains aux ongles couverts d’un noir bleuté. Elle releva son visage vers les pancartes indiquant le retour dans le centre ville de Helldown mais son attention fut retenue par la peinture sur un mur immense: « Orbea meurtrière ! Vous allez tous crever ! Batards ! ». Elle faillit éclater de rire. Orbea était la citée des Ombres dont Loann était la princesse. Toute la ville était entourée d’un immense mur infranchissable, autant par magie que par moyen physique. 
    Heilin se gara et sortit de sa voiture pour admirer la grande muraille. Un sentiment de bonheur morbide s’insinua en elle. Quelle que soit la personne qui ait peint cette phrase, elle le louait en silence. L’HeadHunter vouait une haine féroce envers cette cité. Elle sentit les dernières traces de chagrins et de rancœurs s’insinuer dans son sang, se mélanger et faire battre son cœur au rythme de la vengeance. Cette vengeance qu’elle attendait depuis quatre ans. Quatre longues années et qui, peut-être, ne serait jamais étancher. 

    « Heilin ? » La surprit Loann. 

    Elle se tourna vers son amie.

    « Salut ! » 

    Loann regarda avec amertume la peinture sur le mur. 

    « Tu comptais me le dire ? » 

    Heilin haussa les épaules. Loann sortit un paquet de cigarette de sa veste, alluma l’une d’elles puis tira une bouffée de nicotine. Heilin la scruta avec indifférence. 

    « Je sais que tu hais les miens. »

    « Laisse tomber, Loann. » Soupira Heilin. « Le principal, c’est que je ne te hais pas. » 

    Un silence pesant s’installa entre elles. 

    « Ce… » 

    Heilin sentit la gêne envahir sa camarade. Elle fronça les sourcils et la regarda finir sa cigarette puis l’écraser de sa botte noire. Toujours tirée à quatre épingles, Loann était le style même de la jeune fille qui passe son temps devant son miroir à traquer la moindre imperfection qui ne soit pas au goût de la saison. Au contraire d’Heilin qui s’habillait selon ses envies et non selon la mode. 

    « Heilin, mon royaume est en danger. Je vais devoir rester auprès de mes parents pour les aider à gouverner. » 

    Heilin digéra l’information. Bien sûr, elle s’était attendue à ce jour où Loann lui annoncerait cette charmante nouvelle mais jamais, elle n’aurait pensé que ça arriverait si vite. 
    Et comme ça. 

    « Ca veut dire quoi au juste ? » 

    Loann lui fit face. Un halo noir commença à se former autour d’elle. Heilin recula d’un pas, sur la défensive. Il ne s’agissait plus de l’une de ses meilleures amies mais de la Princesse des Ombres. Le pouvoir s’enroulait autour de Loann, formant une boule sombre autour d’elle. Ses yeux se vidèrent d’humanité pour devenir un gouffre sans fond. 

    « Quiconque ira à l’encontre de mon peuple, de ma famille, des miens, sera châtié. » 

    Heilin sentit la chaire de poule l’envahir. La puissance de Loann était vraiment sans équivoque. L’HeadHunter n’était vraiment pas certaine, qu’en combat singulier, elle puisse s’en tirer en un seul morceau. Une sueur froide descendit dans son dos quand elle se rendit compte des paroles de sa meilleure amie. 

    « Ma haine envers ton peuple…. »

    « Signifie que tu me hais. » La coupa Loann, implacable.

    « Bien sur que non ! » S’insurgea Heilin en comblant le pas qu’elle avait cédé quelques minutes plus tôt. 

    Loann eut un sourire mi hautain mi sceptique.

    « Bien sur que si ! J’ai fait parti du conseil qui vous a condamnés. J’ai voté sa mort et la tienne.» 

    Heilin ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Elle savait que Loann avait raison. Elle avait été responsable de sa douleur et de sa transformation en HeadHunter. En partie… 
    Heilin soupira lourdement.

    « Je ne vous ai plus attaqué depuis trois ans ! » 

    « Non mais tu prends plaisir à traquer nos renégats et à les tuer. » Conclut Loann dont les yeux redevinrent humains. « Heilin, je suis désolée mais nos chemins se séparent ici. Je sais que jamais, tu n’accepteras les miens. » 

    Heilin ne la détrompa pas. Bien sur qu’elle n’accepterait jamais les Ombres. Pas après ce qu’ils avaient fait mais jamais, elle ne voudrait qu’ils disparaissent. Ils étaient son dernier lien avec celui qu’elle avait aimé. 
    Loann fit demi-tour et s’en alla rejoindre l’immense porte en bois à quelques mètres. Elle posa sa main sur le chêne, regarda une dernière fois son amie puis traversa le bois sans aucun effort apparent. 
    Heilin sentit son cœur se déchirer. Elle avait vraiment tout perdu. Son mentor. L’une de ses meilleures amies. L’homme qu’elle avait aimé. 
    Elle remonta dans sa voiture pour s’arrêter quelques mètres plus loin au cimetière des Ombres. Au moins, ils avaient eu la bonté d’âme de l’enterrer parmi les siens. Heilin parcourut les tombes les unes après les autres. Elle s’arrêta devant l’une d’entre elles : en marbre blanc, sans épitaphe, sans photo, sans signe distinctif. Les Ombres ne l’avaient pas honoré comme ils auraient dû le faire avec un prince héritier. Ils l’avaient simplement recouvert de terre et placé une plaque par-dessus. Le strict minimum. Heilin sentit la colère bouillonner en elle mais elle calma la bête assez rapidement. 

    « Pleurer un mort… Je ne te pensais pas capable de ça. » Raisonna une voix derrière elle. 

    « Va te faire foutre ! » Souffla-t-elle épuisée. 

    Une silhouette sombre, imposante et pleine de puissance se plaça à sa droite, la faisant frissonner. 

    « Je ne t’asticotais pas. Je ne pensais vraiment pas que tu portais un deuil sur tes épaules. » Expliqua-t-il d’une voix égale. 

    « Et ça change quoi au juste ? » Grinça-t-elle n’aimant pas la pente sur laquelle ils glissaient tous les deux.

    " Rien mais c'est stupide de le pleurer." 

    Heilin se tourne vers lui, prête à le frapper mais il arrêta sans problème le poing qui allait s'abattre sur son visage. Dageus la regarda sans colère ni amusement. Ses yeux verts forêt brillaient juste de cette assurance qui le caractérisait. Et elle sentit à nouveau cette tension étrange qui les avait assaillis dans le Dead Cooking. Heilin sentit la bile lui monter dans la gorge. Comment pouvait-elle se sentir attirer par ce type devant la tombe de son fiancé ? Jamais elle ne se sentit aussi sale, aussi crapuleuse de toute sa minable vie.

    " Même s'il était toujours en vie, à un moment, vous auriez été ennemis..." 

    Elle ouvrit la bouche prête à le contredire mais il la fit taire d'un regard doré. 

    " Tu es une future Tigre! Il était voué à devenir le chef des Ombres à ce que j'ai compris de votre discussion... »

    " Tu nous as espionné?" S'insurgea Heilin en se dégageant de sa poigne. 

    Un grondement retentit dans la gorge de Dageus mais Heilin ne bougea pas, elle continua de le défier du regard. Elle n'était pas un de ses larbins qui courbaient l'échine. Elle était humaine. 

    "Où crois-tu pouvoir te cacher une fois la guerre éclatée?" 

    Heilin se figea.

    "Il ne s'agit pas encore d'une guerre!" Murmura-t-elle peu sûre d'elle. 

    Dageus éclata d'un rire sans joie. Froid et démentiel. 

    " Viens au Clan et tu comprendras!" 

    Dageus se détourna laissant la jeune femme seule devant la tombe sans nom et sans fioriture. Elle lui jeta un regard las puis s'en alla.
     
     
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    Heilin chargea son Glock d’une balle et tira dans la tête du Faye. Matt fit de même avec son ennemi. Un hurlement strident retentit dans la ruelle. Une gamine aux cheveux blonds lisses avec des mèches vertes et orange hurlait à plein poumon alors que du sang la recouvrait. L’HeadHunter soupira lourdement, agacée par ses cris de cochons égorgés. 

    « Oh ! La ferme ! » Cria-t-elle sérieusement exaspérée. 

    La gamine s’étrangla en tremblant alors que ses yeux se posaient sur le couteau qui venait de servir à couper la tête de la créature. Mégana se mit à pleurer. Heilin rangea ses armes dans son sac. Elle jeta à peine un regard à la jeune fille qui pleurait, choquée. Heilin se demanda vaguement quelle serait la sanction encourut si elle arrachait les cordes vocales de la gamine pour que le silence revienne. 
    Mauvaise idée ! Ca allait baisser sa prime. 
    Matt ricana en la dépassant comme s’il avait lu dans ses pensés. Il s’agenouilla près de la fugueuse et la calma. Heilin haussa un sourcil. En plus d’être diablement beau, il avait une voix à faire tomber toutes les demoiselles en détresse. 

    « Allez Prince Charmant, lève ta dulcinée qu’on se tire. » Grogna-t-elle, fatiguée de ces petits jeux. 

    Quelques heures plus tôt, Matt l’avait appelé pour lui signaler la disparition de sa voisine chérie : Megana. Vu qu’elle n’avait rien de palpitant à faire et que cet abrutit de Dageus restait sourd à ses appels, elle avait accepté. Matt lui expliqua de long en large et avec des détails un peu trop poussés pour une simple amitié de voisinage, que la gamine vouait un culte aux Fayes en tout genre et qu’elle ne rêvait que d’une chose : devenir Faye. Heilin avait éclaté de rire avant de se faire engueuler par le Léopard. Rien qu’à ce souvenir, elle sentit l’exaspération monter d’un cran. 
    Elle ouvrit la voiture de Matt et aida ce dernier à placer Mégana correctement sur le siège arrière de la voiture. Elle ferma les portes à clé puis grimpa du côté passager alors que Matt prenait le volant. Heilin se tourna vers la gamine qui dormait, étalée sur son siège. Elle capta le regard du Léopard sur la petite.

    « Tu es amoureux ou quoi ? » Grogna-t-elle en se détournant de la petite blonde. 

    Matt leva les yeux au ciel.

    « Bien sur que non mais elle fait un peu parti de ma meute. Je veille sur elle depuis sa naissance. » 

    Heilin haussa un sourcil : 

    « Ce soir, ce n’était pas trop ça, si tu veux mon avis. » 

    Elle ricana silencieusement en voyant les doigts du jeune homme se crisper sur le volant. Il semblait en colère. Ce simple constat réussit à calmer la contrariété de la HeadHunter qui se cala un peu mieux dans son siège. 
    Si elle n’était pas arrivée à temps, Mégana aurait fini en petit encas pour Faye. 
    Les Fayes n’étaient pas spécialement mauvais mais certains d’entre eux aimaient particulièrement la chaire humaine. Comme dans toutes les races, les castes et les pays, il y avait des malades mentaux et des sains d’esprit. Heilin jeta un coup d'œil derrière quand la gamine se réveilla enfin. Megana regarda autour d'elle avant de s'exclamer. 

    "Arrêtez! Laissez-moi descendre!" 

    Heilin grimaça en croisant les bras en dessous de sa poitrine gardant toujours un œil sur Matt qui serrait un peu trop le volant. 

    " Matt, tu devrais faire gaffe, tu vas décrocher le volant.

    Un grognement lui répondit. 

    "Ok! Ca s'est fait!" Souffla-t-elle en soupirant. 

    En d'autres termes, si la petite continuait de hurler, elles allaient se retrouver avec un léopard fou furieux dans un endroit restreint. 
    Mauvais plan.

    "A ta place je la mettrai en veilleuse le temps de rentrer chez moi!" Lança-t-elle à Megana qui la fusilla du regard. 

    " Laissez-moi descendre!" S'écria-t-elle.

    En voyant le regard de Matt devenir légèrement argenté noir, elle attrapa la gamine par les cheveux et la tira entre les deux sièges. Megana croisa le regard étrange du jeune homme. Elle hurla puis s'évanouit. Heilin la repoussa sur le siège arrière. 

    "HEILIN!" Gronda Matt, en colère. 

    " Oh! Calmos! J'ai juste évité que tu la mettes en pièce pour ton déjeuner du matin!" 

    " Tu aurais pu t'y prendre autrement." 

    Heilin haussa un sourcil.

    "Ha ouais? Et comment? En lui expliquant? Cette fille est dingue des Non-Humains, tu crois qu'elle peut entendre raison?" 

    Un silence pesant tomba dans la voiture. 

    " Quand c'est devant des Humains, tu sais jouer les fortes têtes mais dès que tu te retrouves face à un Non-Humains, y a plus personne!"

    Heilin entendit la voix de Matt raisonner en elle comme une cloche assourdissante.

    "Arrête-toi!" Ordonna-t-elle très calmement. 

    "Non!" Claqua la voix de Matt. 

    Un sourire froid apparut sur le visage d'Heilin. Elle pointa son arme sur la tempe du Léopard-Garou.

    "Arrête tes conneries et range cet arme!" 

    "Arrête-toi!" 

    " Non!"

    Un coup de feu retentit dans l'habitacle. Livide, Matt tenta de remettre la voiture sur la route alors qu'il tenait le canon de l'arme au-dessus de sa tête. Un vent froid entra dans leur moyen de locomotion par le trou qu'avait fait la balle en passant au travers.

    "Mais t'es malade!" 

    " Tu t'arrêtes!" 

    Matt arracha l'arme des mains d'Heilin mais il se retrouva aussitôt avec un couteau sous la gorge.

    " Matt, je ne rigole pas! Arrête cette voiture." Grogna-t-elle. 

    Le jeune homme pila net envoyant valdinguer la jeune femme contre le tableau de bord. Elle raffermit sa prise sur son couteau mais Matt lui broya presque le poignet. Elle lâcha son arme en hurlant. Il attrapa ses cheveux derrière sa nuque et la tira pour qu'elle le regarde droit dans les yeux.

    " Ne refais plus jamais ça, bébé tigrou. Je t'aime bien Lin, ça serait dommage de t'abimer. De plus, Dageus pourrait mal le prendre!"

    Heilin déglutit face au regard du léopard: noir rempli de paillettes d'or. 

    " Dageus n'a rien à me dire!"

    Un ricanement sortit de la gorge de Matt.

    " Même si tu n'as pas encore été transformé, tes gênes restent latents. Il suffira d'une marque et tu lui appartiendras."

    Heilin pinça ses lèvres jusqu'au sang.

    "Je crèverai avant." 

    "Oh! Si tu continues à jouer avec mes nerfs ce soir, c'est ce qu'il risque d'arriver!" Rigola-t-il en la repoussant dans son siège. " Heilin, tu restes Humaine tant que tu n'auras pas accepté tes gênes garou donc tu ne pourras rien contre moi. Tu perdras toujours alors... La ferme et cesse de faire la conne!!" 

    Heilin se renfrogna en se massant le poignet. Il était bel et bien brisé. Matt lui jeta un rapide coup d'œil mais ne fit aucune remarque. 

    " Dépose-moi chez moi avant de la reconduire!" Soupira-t-elle en se tournant vers l'extérieur. 

    " Non! Je ne peux pas. J'ai reçu des ordres!" 

    Trop choquée, il fallu un temps à la jeune femme pour ouvrir la bouche et s'insurger. 

    "Attends là!" S'exclama-t-elle en élevant la voix. " Tu m'as fait venir pour quoi au juste?"

    Matt eut le bon gout de paraître gêné. 

    " Heilin, à cause de l'arrivée des Vampires et de leurs Goules, les Non-Humains - même les demi- doivent rentrer dans leurs Nids.

    " Repose-moi chez moi!" S'écria-t-elle. 

    "Baisse d'un ton s'il te plait!" 

    " Alors ramène-moi chez moi! Je refuse d'obéir à Dageus ou qui que ce soit d'autre. Matt, ramène-moi chez moi!" Trancha-t-elle froidement.

    Matt ferma les yeux un instant avant de secouer la tête de droite à gauche. Heilin sentit un poids lui tomber sur l'estomac. La bile grimpa dans sa gorge. Si elle se rendait au Clan des Tigres et qu'ils la gardaient là-bas, elle n'y survivrait pas. 
    C'était impossible! 
    Sa main valide trouva la poignée de la porte et la tira alors que la voiture était encore en marche. Heilin l'entendit que partiellement le cri de Matt quand elle sauta hors de la voiture. Elle eut juste le temps de rouler quelques fois avant de se relever et de courir aussi vite que possible à travers les ruelles de la ville. 
    Jusqu'à ce que ses jambes brûlent. 
    Jusqu'à ce que ses poumons la fassent souffrir plus que de raisons. 
    Mais où aller? 
    Mue par son instinct, elle se laissa guider jusqu'au pont Ygdrasil. 
    Elle courut alors qu'elle sentait les pas de Matt derrière les siens. Lorsqu'elle vit le pont à quelques mètres, elle sentit une légère euphorie la saisir. 
    Quelques mètres....
    Encore... 
    Elle sentit un coup de vent derrière son dos mais elle réussit à poser son pied droit sur la frontière qui séparait le monde extérieur au Pont. Heilin se tourna en courant toujours et vit Matt la fusiller du regard. Elle continua son chemin parce qu'elle savait qu'il aurait tôt fait d'appeler à lui l'esprit de son clan pour pouvoir réunir assez de magie et contrer les effets du Pont pendant un petit temps. 
    Elle descendit les marches d'un escalier caché entre des gravats et ouvrit la porte à la volée. 
    Ed se tourna vers elle, surpris, un livre à la main, de fines lunettes sur son nez. Heilin aurait sans doute rit de cette vision en d'autres circonstances mais là, elle ferma simplement la porte à clé et se laissa tomber au sol, épuisée. 
    Ed s'approcha et l'aida à s'asseoir sur un fauteuil miteux. 

    "Déjà de retour?" S'amusa-t-il même si ses yeux trahissaient son inquiétude. 

    Heilin sentit l'adrénaline tomber brutalement et ses muscles la faire souffrir.

    "Ils... Ils veulent... Ils..." Bégaya-t-elle en tentant de reprendre son souffle. 

    "Calme-toi! Respire profondément..." 

    Heilin suivit les instructions de son ancien mentor jusqu'à retrouver un calme apparent. 

    " Explique-toi maintenant!" Murmura-t-il doucement de peur de la faire replonger dans un état de stresse. 

    " Ils veulent que je rejoigne les Tigres!

    Un long silence suivit la révélation de la HeadHunter.

    "Ils te l'ont dit?" 

    "Pas besoin!" Grinça-t-elle amèrement. " Matt devait me conduire à eux. Tous les Non-Humains ou presque sont obligés de retrouver leur Clan." 

    Elle plongea son regard dans le sien. Il y vit de l'angoisse, de l'amertume, de la colère mais aussi de la peur. 

    " Tu sais ce que ça veut dire." Ed s'approcha de la porte dans son dos. Heilin vit la cloison devenir or puis disparaitre. 

    " Euh! Ed...

    Ed sourit en levant les yeux au ciel. 

    " Tu croyais vraiment que je me droguais?

    Heilin rougit légèrement. Elle s'en voulut subitement d'avoir pu croire que la seule personne au monde ayant fait attention à elle, ait pu lui tourner le dos. 

    "Tu es devenu un Mage Noir!" 

    L'homme hocha la tête positivement.

    "Pourquoi crois-tu qu'ils me pourchassent? Uniquement pour cette affaire de double veste?" Se moqua-t-il. 

    Heilin se prit la tête entre les mains et soupira. 

    "Mais tu as raison..."

    La jeune femme le regarda en haussant un sourcil, perplexe. 

    " J'ai perdu le contrôle. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même." Avoua-t-il un sourire en coin. 

    Ils se tournèrent ensemble en entendant des coups donnés sur le mur, à l'emplacement de la porte. Ou en tout cas de ce qu'était la porte avant de disparaitre. 

    "Dageus!" Siffla Ed. 

    Il prit Heilin par la main et l'entraina vers une seconde pièce. 

    "Où va-t-on?" S'inquiéta-t-elle. 

    " Tu ne pourras pas fuir éternellement mais jusqu'à ce que le moment sois venu... Fais ce que tu as à faire." 

    Heilin sourit légèrement en l'écoutant. Elle se souvenait de leur première rencontre. Comme si c'était hier. 
    Il pleuvait à verse, elle était trempée, couverte de sang et morte de peur. Elle devait avoir quoi... Six ou sept ans. Elle avait couru longuement jusqu'à ne plus pouvoir bouger. Il lui avait fallu toute sa volonté réunit pour partir loin du lieu du massacre. Et il l'avait trouvé, là, errante et morte de trouille. Il l'avait prise sous son aile, pour une raison obscur encore à l'heure actuelle. Il l'avait veillé pendant quelques jours avant de la reconduire chez elle. Puis ils s'étaient perdus de vue jusqu'à ce qu'il vienne la chercher pour faire partie des HeadHunters. 
    D'abord sceptique, elle avait du bien admettre que seule, elle n'arriverait jamais à dompter cette chose qui l'habitait depuis quelques années. Plus le temps passait plus son comportement tendait vers l'animal qui la hantait. Il l'avait aidé à dompter cette chose en elle. Il lui avait appris à se servir de capacités qu'elle ne se serait jamais cru possible de développer. 
    Ils s'arrêtèrent devant une porte faite de chêne et d'or. Il la poussa et tira la jeune femme de l'autre côté.

    " Ed... pourquoi..." Commença-t-elle mais déjà il fermait la porte en souriant. 

    " Tu n'es pas prête à le savoir!

    Il l'enferma dans le noir. Heilin sentit son cœur pulser d'angoisse. Elle détestait les endroits sombres qu'elle ne connaissait pas.

    " Sers-toi de tes gênes, Petite." retentit une voix sortie de nulle part. 

    Heilin grimaça en trouvant un mur, elle s'y appuya et se mit en marche. Contrairement aux Tigres en tant qu'animaux, les Tigre-garou avaient la faculté de développer des dons que leurs homologues sauvages ne seraient jamais capable d'avoir. 
    Heilin, elle, avait appris à développer son odorat tel un chien pisteur. Elle ferma les yeux, même si elle était plongée dans les ténèbres et sentit l'air environnant: un courant venant de l'extérieur tournait dans son couloir, elle le suivit. 
    Un grondement la fit sursauter mais elle resta concentrée. En temps normal, une tigresse qui aurait entendu ce son dominateur se serait aplatit au sol, attendant la venue du mâle et aurait subit son courroux mais Heilin n'était pas une Tigresse. 
    Pas encore. 
    Mais elle ne comptait pas le devenir de si tôt. Elle se concentra et se remit en marche suivant le vent qui lui chatouillait le nez. 
    Heilin avait tout fait pour fuir les Tigre-Garous. Loann et Kera avaient servi d'intermédiaire entre les Tigres et le Chaos pendant autant de temps que cela lui était permis. Mais maintenant que Dageus savait qui elle était...Maintenant qu'il avait compris qu'elle était vouée à rentrer dans son Clan... 
    Heilin avait peur. Elle crevait de trouille. Elle ne voulait pas être asservie par un homme. Elle ne voulait pas être la vingt-cinquième sur la liste des femelles bonnes à mettre en cloque. 
    Bien sur, parfois, elle se sentait seule et au fond d'elle, la bête savait qu'elle serait choyée dans un clan. Mais le prix était trop élevé. 
    Beaucoup trop. 
    Elle respira enfin l'air frais de l'extérieur. L'Headhunter ne se soucia pas du lieu où elle se trouvait, elle courut comme jamais. Il fallait aller se cacher et il n'y avait qu'un seul endroit possible pour qu'elle puisse se reposer en paix. A part chez Ed. 
    Elle sentit son approche plus qu'elle ne le vit. La bête en elle s'agitait comme cette fois où elle l'avait vu accrocher ce cadavre en haut de la Tour de Justice. 
    Elle l'appelait. Elle le voulait.
    Mais il en était hors de question. Elle traversa les rues, les unes après les autres au pas de course. Tout compte fait, les années d'entrainement de son père servaient enfin à quelque chose de concret. 
    Heilin vit enfin une lourde porte en chêne avec des reliefs qui brillaient sous les reflets de la lune. La nuit, Helldown s'éteignait de partout. Plus aucune source de lumière n'était permise. Alors les soirs sans lune, il valait mieux rester confiner chez soi. Heureusement cette nuit était une exception.
    Heilin étouffa un cri quand une masse lui tomba dessus. Elle sentit ses paumes s'ouvrir quand ses mains rencontrèrent le bitume de la route. Une douleur vive se diffusa de ses poignets à ses épaules, brouillant sa vue un léger instant. 
    Un moment suffisant pour que la chose qui lui était tombée dessus ne la relève par le cou. Elle attrapa le poignet au-dessus de sa tête en grimaçant de douleur. 

    " Je pensais avoir ordonné que tu rentres!" Gronda une voix basse mais effrayante. 

    Heilin sentit la panique grimper en elle et la faire se recroqueviller mais aussi un désir de se plier à lui, sous lui, qui lui fit fermer les yeux jusqu’à voir des explosions de couleur se former sous ses paupières. 
    Non! Non! Il fallait fuir. 
    Des yeux verts forêts tournant au rouge feu la tétanisèrent sur place. Elle n'arrivait même plus déglutir. Son cœur voulait sortir de sa poitrine et partir en hurlant de peur. Dageus la reposa à terre sans lui lâcher le cou. Ses doigts formaient un étau parfait autour de sa gorge. En un clin d'œil, il aurait tôt fait de la lui arracher. 
    Un coup de griffes. 
    Heilin resta statique, les yeux écarquillés par la terreur que lui inspirait cet homme ou ce monstre entouré d'un halo noir. 

    "Lâche-moi!" Réussit-elle à murmurer. 

    Le regard de Dageus se chargea d'un peu plus de rouge. Heilin n'était pas stupide, elle savait ce que cela signifiait. 

    " Tu n'es rien Heilin! Tu n'es rien Chaos..." Déclara-t-il, les yeux agrandis par la surprise et la colère de l’entendre lui donner un ordre. 

    Heilin sentit la haine grimper en elle, empoisonner son sang et ses sens. Dageus haussa un sourcil en voyant son regard se pailleter de rouge et d'or. Il admira le phénomène sans se soucier d'autre chose. Il poussa un gémissement de douleur quand elle lui entailla le bras de longues griffes acérés. 

    "C'est impossible." Bredouilla-t-il en le voyant entouré de l'aura des Tigres.           

    Dageus se releva. Un grognement sourd monta de la gorge d’Heilin. Celle-ci n’arrivait plus à se contenir. 
    Il était là.
    Trop proche. 
    Trop dangereux. 

    « Va-t-en ! » Gronda-t-elle en reculant, une main sur son visage, cachant sa vue. 

    Dageus s’approcha lentement. Heilin se courba touchée par l’aura de l’homme. 

    « DEGAGE ! » Hurla-t-elle en relevant son regard rouge sur lui. 

    Dageus n’en revenait pas. Seuls, les véritables Garous avaient ce regard rougeâtre comme le sang qu’ils versaient en tuant leurs victimes. Seuls, les Sang-Purs avaient ces yeux. 

    « Heilin ! » L’appela-t-il doucement comme un ronronnement lent et engageant. 

    Heilin sentit un frisson la parcourir quand elle l’entendit. Un gémissement passa ses lèvres bien malgré elle. Sa haine se décupla quand elle s’en rendit compte. 
    Sa bête ne voulait pas se faire asservir. Ou était-ce son côté humain ? 
    Elle ne savait plus. C’était trop flou. C’était trop fort. Il fallait qu’il parte. Il fallait l’éloigner pour respirer. Enfin.
    Elle releva son visage, ses yeux entièrement rouge, et elle lui sauta dessus toutes griffes dehors. Heureusement pour lui, Dageus possédait des années d’expérience et avait dompté son Tigre depuis bien plus longtemps qu’elle. Ils ne formaient qu’un. Il vit la jeune femme tourner la tête vers lui, accroupie au sol. Un son guttural passa sa bouche révélant des crocs petits mais qu’il savait mortels. Il réussit à prévoir sa prochaine charge : Il attrapa ses avant-bras et l’envoya percuter des poubelles. Le bruit fut assourdissant dans ses oreilles qui bourdonnaient sous l’effet du sang qui coulait à une vitesse vertigineuse dans son corps. 
    Il n’avait pas voulu en arriver là. Il fallait seulement la faire rentrer à la tanière. La mettre en lieu sûr. 

    « Va-t-en ! » Grogna-t-elle lourdement. 

    « Non ! Pas sans toi. » 

    Elle hurla de rage en lui assenant une autre attaque. Dageus le sentit passer quand une de ses griffes atterrit sous son œil droit. Quelques millimètres plus haut et elle lui aurait arraché l’œil. 
    Il n’aurait jamais cru qu’elle puisse posséder une telle dextérité et une telle aisance. Normalement, les nouveaux Tigres-garou avaient du mal à se faire à leur nouvel hôte et ne savait pas se battre ni même se défendre. Il avait cru que c’était la même chose pour elle. Alors quand il avait appris par Kera que les Vampires et leurs saletés de Goules débarquaient, il avait pris la décision de ramener tous les Tigres à la Tanière.
    Elle attaqua de nouveau. Dageus comprit qu’ils allaient passer la nuit à se battre de cette façon s’ils continuaient comme ça. 
    Il l’attrapa par les cheveux, la fit s’agenouiller et serra sa gorge assez longtemps pour la faire tomber dans les vapes. Il grimaça en voyant son sang couler de ses avant-bras au corps de la jeune femme. C'était le souci quand on tentait d'étrangler quelqu'un sans l'attacher: il avait toujours moyen de griffer et de se défendre.
    Il déglutit mais se retint d’un quelconque geste mal placé en pareille circonstance. Il la souleva sans mal et la porta à l’opposé de la porte en bois. Dageus la fixa un instant : le siège des HeadHunters. 
    Heureusement qu’il l’avait empêché d’entrer. 
    Heureusement que cet abrutit d’Ed l’avait bien aiguillonné.
     
     
     
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  • Heilin cligna plusieurs fois des yeux en bougeant lentement. Elle avait la désagréable sensation qu'un troupeau d'hippopotame lui était passé dessus. Elle gémit en se relevant. Elle inspecta l'endroit où elle se trouvait mais ne reconnut pas sa chambre ni même son salon. La jeune femme fronça les sourcils.


    "Tu ne devrais pas bouger pour le moment." Claqua une voix froide qui la fit se figer. 

    Elle releva ses yeux vers l'inconnu et vit Dageus s'approcher du lit avec un plateau repas. Ce ne fut qu'à ce moment qu'elle remarqua qu'elle n'était habillée que d'une longue chemise bleu roi d'homme. Elle rougit légèrement en remontant les draps sur elle. Dageus posa le plateau sur ses jambes puis s'assit au bord du lit sans la quitter des yeux. 

    " Tu dois mourir de faim. Mange!" Lui ordonna-t-il. 

    Heilin ouvrit la bouche pour riposter mais seul, un soupir lui échappa. Elle regarda le plateau et saliva devant le pain de mie et le bol de soupe aux tomates. Elle le prit sur ses genoux et engloutit le tout sous les yeux moqueurs du Tigre-Garou.

    " Ta transformation t'a pris beaucoup d'énergie!" Commenta-t-il quand elle eut avalé le dernier morceau de pain. 

    Elle le regarda avec surprise. Il lui renvoya un regard neutre en enlevant le plateau du lit pour le poser sur le sol.

    "Ma transformation? Mais je ne suis pas une Tigre... J'ai le gène mais je ne me suis jamais transformée. Je..."

    Il lui prit sa main gauche et lui montra ses doigts dont les ongles étaient incurvés comme des griffes. Un frisson d'horreur parcourut le corps de la jeune femme. Elle retira sa main de l'emprise de celle de Dageus. 

    " Il est ici... Le monstre qui m'a mordu est ici..."conclut-elle, les yeux écarquillés. 

    Son corps trembla mais elle ne savait pas si c'était dû à la terreur ou à la colère. Sans doute un peu des deux. Elle voulut se lever mais l'aura de Dageus l'écrasa sur son lit. Elle releva légèrement la tête et le fusilla des yeux. Ces derniers étaient quasi entièrement noirs avec un léger voile rouge. 
    Un son guttural sortit de la gorge de Dageus qui était resté exactement à sa place initiale: assis sur le bord du lit.
    En ce moment précis, dieu qu'elle aurait aimé plonger ses dents dans sa gorge et la lui arracher pour qu'il se taise une fois pour toute. Pour que ce son ne puisse plus la découvrir aussi faible qu'une brebis face au loup. Elle sera les poings sur la couverture. 
    Dageus fit comme s'il ne voyait rien. 

    "Il n'est pas en ces murs!" Déclara-t-il. " Mais il est revenu en ville, c'est exact!" 

    Heilin le regarda droit dans les yeux sans ciller. Malgré son flegme apparent l'attitude de la jeune femme agaçait légèrement Dageus. Il était chef de Clan. Il avait tout pouvoir sur elle mais elle le défiait ouvertement à chaque secondes. Il savait qu'elle n'avait pas conscience de ce fait mais il commençait à se demander si ce n'était pas à lui de le lui inculquer. 
    Un léger doute l'assaillit avant qu'il ne l'enferme dans un coin de sa tête. 
    Pas maintenant!
    Elle n'était pas encore Tigre-Garou. Elle était entre l'Humain et le Non-Humain. Dans cette phase dangereuse où l'être que l'Humain va devenir peut décider si oui ou non, il rejoint son rang. 
    Heilin, elle, réfléchissait. Elle se souvenait parfaitement des traits de la créature qui l'avait attaqué. 
    A l'époque, elle n'était âgé que de huit ans tout au plus... Elle avait tardé à rentrer à la maison. Elle avait tardé à obéir et en avait payé le prix! 
    Quelque chose lui avait couru après du parc de la ville à son jardin, tel un gibier. Ce ne fut qu'une fois devant chez elle, que la créature lui avait sauté dessus et griffé jusqu'au sang. Elle avait hurlé jusqu'à ne plus pouvoir avoir de voix. Elle avait ameuté tout le quartier mais quand les voisins avaient vu la chose qui attaquait la petite, ils étaient restés chez eux à regarder...
    A admirer! 
    Même ses parents n'avaient pas eu le cran de lui venir en aide et de toute façon, ils n’en eurent pas le temps.
    La créature l'avait retourné et elle avait vu: des yeux rouges sang et dessous un regard d'homme assoiffé. Jamais elle ne pourrait oublier ses yeux gris verts transperçant. 
    Il avait ensuite enfoncé ses crocs dans son bras lui broyant l'os. Elle avait mis plus d'un an pour retrouver une motricité relative. Plus de dix pour oublier la douleur marquée au fer rouge dans sa mémoire.
    Et jamais elle n'oublierait les hurlements de ses parents...
    Elle chassa ses sombres pensées et reporta son attention sur Dageus qui restait immobile tel une statue de marbre. 
    Une statue qui dégageait une aura qui la faisait frissonner jusqu’au tréfond de son âme. 
    Ce qui était clair : c’est qu’elle devenait cinglée. Bien qu’elle se soit toujours doutée qu’elle l’était devenue le jour où elle avait été mordue. 

    «  Tu comptes faire ton introspection encore longtemps ? » Demanda Dageus comme s’il avait lu dans son esprit. 

    «  Comment es-tu au courant de cette histoire ? » Demanda-t-elle en reprenant pied dans la réalité. 

    Dageus haussa les épaules. 

    « Alpheus m’a tout raconté après votre départ. Elle désapprouvait que je t’ordonne de retrouver des assassins et pensait que tu serais plus en sécurité au sein du Clan. » 

    Leurs regards se croisèrent. Heilin sentit exactement la même torpeur l’envahir que celle qui avait annoncé leur moment plutôt embarrassant dans la boîte de nuit. 

    « Je ne veux pas rester ici ! » Claqua sa voix pour se tirer de cette envie désagréable de laisser son chef, prendre le contrôle de la situation et la mettre à l’abri.

    Dageus eu un petit sourire suffisant, ses yeux verts brillant de moquerie. Pourtant Heilin vit, au fond de ce vert forêt, la bête tapie qui hurlait. La sienne s’agitait aussi, lui ordonnant d’obéir.
    Mais elle n’était pas un Tigre. Elle était humaine. 

    « J’avais cru comprendre ! »  Ricana-t-il en se relevant. 

    Heilin frotta ses avant-bras alors que la Bête en elle quémandait à nouveau le regard de ce monstre sur elle. 

    « Pourtant, je pense qu’il n’est pas prudent de sortir du Clan. » Trancha-t-il. 

    Heilin sortit du lit d’un bond et lui fit face. Dageus soupira en se levant. 

    « Je ne suis pas une Tigre-Garou, je suis une HeadHunter, je… » 

    Dageus la saisit par le bras envoyant une étrange chaleur de sa main jusqu’à son estomac. Il la tira hors de la chambre, parcourut quelques couloirs puis la fit entrer dans une pièce gigantesque : une sorte de salon où se trouvait déjà une demi douzaine de garous assis, scrutant un écran plat gigantesque. 
    Heilin sentit la main de Dageus glisser le long de son poignet puis sa paume et enfin ses doigts tandis qu’elle s’approchait de l’écran. Elle savait que les autres Garous la regardaient mais elle n’avait dieu que pour les images sur la télévision. 
    Elle n’entendait plus aucun bruit alors que les images qu’elle voyait se frayaient un chemin dans son esprit embrumé. Ce dernier refusait d’analyser ce qu’il voyait. Il lui était tout bonnement impossible de comprendre ce qu’il y avait en face d’elle. 
    Un immense immeuble était filmé par une caméra tremblante, les fenêtres de chaque étages étaient brisées, recouvertes de sang ou les deux à la fois. Heilin sentit sa gorge se dessécher. Ses mains se posèrent sur l’écran alors que les corps sans vie d’hommes et de femmes se dessinaient sur ses rétines. Sa bouche s’ouvrit légèrement en un cri silencieux et faible. Une main se posa sur son épaule mais elle eut à peine conscience subjuguée par les cadavres étalés sur le devant de l’immeuble. Une question naquit au fond de son cerveau : comment était l’intérieur ? Avaient-ils su se défendre en s’enfermant dans les bunkers prévus au cas où une attaque Non-Humaine les toucherait ? 
    Ses doigts se crispèrent sur la surface froide de l’écran. La caméra entra. Mais où ces foutus journalistes avaient-ils eu l’autorisation pour filmer tout ce bordel ? 
    Une colère froide monta en elle contre ces chiens galeux mais elle fut vite remplacer par l’horreur brute. 
    Elle recula comme si l’écran l’avait frappé. Le hall d’entrée de l’immeuble était immense. Elle se souvenait de sa première entrée, elle avait été émerveillé par la hauteur du plafond, un géant antique aurait pu se tenir debout au milieu d’eux, pauvres humains. Les escaliers en colimaçons portaient tous un tapis de couleur différente pour différencier les services suivant l’étage. Là, ils étaient tous noirs… Noirs du sang versé. 
    Des morceaux de corps pendaient au plafond.
    Comment avaient-ils fait pour accrocher les chaînes puis attacher les morceaux ? 
    Un bras ballotait devant la caméra qui s’ébranla et donna une vue d’ensemble du haut du grand escalier.
    Celui qui menait chez le directeur de HeadHunter Corporation. 
    Heilin sentit son estomac se contracter et hurler de douleur. 
    Son patron pendait lamentablement au bout d’une chaine, la gorge tranchée. Sa tête tenait encore à son cou par elle ne savait quel miracle. Le corps bougeait tel le pendule d’une vieille horloge. 
    Droite… Gauche… Droite… Gauche… 
    La secrétaire, ou ce qu’il en restait, était étendue sur le fauteuil en cuir dans le bureau ovale. Son ventre était ouvert de bas en haut. Ses boyaux étaient tombés sur ses genoux. 
    La télé finit par s’éteindre. Heilin ne fit aucun commentaire. Elle se détourna et se rua sur la porte. Etrangement, personne ne la retint. Garou ou pas, Heilin se sentit assez enragée pour soulever un camion à pleine charge. Alors un Non Humain…
    Elle sortit hors du Clan. Nom très pompeux pour un hangar de scierie recyclé en QG de Tigre. 
    Elle força une voiture puis enleva le bas du tableau de bord pour tripatouiller les files. Ed l’avait bien formé. Dageus s’assit sur le siège passager. Sans un mot. Elle sentit juste son aura les envelopper. Elle roula jusqu’au centre-ville sans arrêt, sans regarder les règlements de police. Au diable la police dans cette ville qui se transformait en Enfers terrestre. 
    Elle arrêta la voiture devant un magasin de disques. Heilin ne regarda pas si Dageus suivait. A dire vrai, elle se moquait. S’il se mettait en travers de son chemin, elle lui tirerait simplement une balle entre les deux yeux. Aussi puissant soit-il, aucun Non-Humain ne survivait à une balle en argent plongée dans de l’eau bénite. 
    Que Dieu soit louée, ironisa-elle en poussant la porte du magasin. 
    Une clochette émit un son strident qui mit les nerfs de la jeune femme un peu plus à vif. 

    « Chaos… » Souffla une jeune femme de vingt deux ans, des cheveux noirs comme les siens mais tenus en chignon chinois sur les côtés de sa tête. 

    Ses yeux orange rencontrèrent les siens. Ils étaient tout aussi vides de vie. 

    «  Hybra ! » Salua Heilin en passant le comptoir. 

    La jeune femme fit un léger signe de la tête à Dageus qui le lui rendit sobrement. 
    Heilin entra dans une sorte de grande réserve d’armes à feu en tout genre. Elle traversa la pièce et se posta devant deux jeunes hommes de vint cinq ans tout au plus. 

    « Chaos… Que nous vaut le plaisir ? » Sourit l’un d’eux, les cheveux noirs mi longs, les yeux gris bleu froid comme un glacier qu’elle ne connaît que sous le pseudonyme d’Izual.

    «  HeadHunter Corporation ! » Lâcha-t-elle simplement. 

    Les deux jeunes hommes se regardèrent, ne sachant, visiblement pas, de quoi il en retournait. 

    «  Tu comptes y retourner ? » 

    « Ils sont morts ! » 

    « Heilin, on parle des meilleurs assassins et protecteurs de toute la planète. » Se moqua le second, de la même taille, les cheveux courts châtains foncés et les yeux de la même couleur. 

    «  Lazarus… » Menaça-t-elle, ses yeux entièrement dorés. 

    Izual attrapa une télécommande et alluma la télévision un peu plus loin. Les deux jeunes HeadHunters Renégats pâlirent à vue d’œil. Ils finirent par couper le poste. 

    «  Qui… » Commença Hybra derrière eux. 

    «  Vampires et goules sans l’ombre d’un doute ! » Trancha Ed, emmitouflé dans un long manteau miteux noir. «  Morneaux le savait… Il a fait muter un peu plus de la moitié de ses effectifs légaux ou non dans la Cité des Anges, la semaine dernière. »

    «  Tout le sang… » Commença Heilin. 

    Ed s’approcha et posa une main fraîche sur sa joue. Elle ferma à moitié ses yeux avant de rendre compte que s’il y avait bien une personne dans cette pièce en laquelle elle avait toute confiance : c’était lui. Malgré toutes les erreurs de son mentor, il resterait son unique soutient… Sa famille.

    « Une mise en scène typique des Vampires ! » 

    « Quelle est la différence entre une Goule et un Vampire ? » Demanda Dageus rappelant sa présence. 

    Ed ferma la porte de la pièce derrière lui et prit place sur une des chaises posées contre un mur. 

    «  Une Goule n’aura pas gaspillé autant de sang frais. Elle n’aurait pas su. » Expliqua-t-il. 

    « En fait, les Goules sont des Humains qui se sont suicidés et qui ont reçu du sang de Vampires comme nourritures de réveil. » Expliqua Izual, expert en Vampires et Goules. 

    C’était le seul des membres du Trio à avoir vu un Vampire de près et avoir survécu à une attaques de Goules. Une fois dans la HeadHunter Corporation, il avait demandé expressément d’être affilié à toutes les enquêtes de Vampires ou de Goules. Il avait passé les neuf ans suivants son attaque à étudier les Vampires et leurs larbins en tout genre. Chaque membre des HeadHunters avait été recruté très jeune après avoir survécu à une attaque quelconque de Non-Humains. Izual vivait chaque jour de sa vie avec les restes de pensés du Vampire qu’il avait empalé après une attaque. Il avait su faire taire le monstre tout en conservant ses facultés hors du commun. 

    «  Il n’y a plus qu’une chose qui les fasse avancer : le sang. Tiède, chaud ou froid, ces créatures s’en moquent, elles boivent, encore et encore. » Grimaça-t-il, ses yeux bleus gris reflétant tout son mépris envers cette race de Non-Humains. 

    Izual leur vouait une telle haine qu’il avait pris le risque de devenir Renégat pour pouvoir appuyer le Président de « Terre Sainte » - un groupe d’extrême droite qui luttait contre les droits des Non-Humains et tentait de faire passer une loi d’extermination radicale- dans sa campagne contre les Goules et les Vampires. Il était resté dans l’ombre mais grâce à lui, la loi pour les droits légaux de ces monstres n’avait pas été votée. Izual en gardait une certaine fierté. 
    Bien sur, le grand patron des HeadHunters avait dû le déclarer Renégat pour « prise de position non réglementaire envers des êtres vivants potentiellement innocents ». 
    Potentiellement innocents… Cette phrase les faisait encore grimacer à l’heure actuelle. Tout cela parce que les Vampires payaient des sommes pharaoniques pour que les HeadHunters assurent leurs protections contre les groupes fanatiques. 

    « Les Vampires, eux, sont issus d’un rituel lent et douloureux qui leurs permet de contrôler leur soif une fois transformer complètement. Ils restent des monstres mais avec un cerveau en état de marche, en gros. » Conclut le jeune homme sur un ton lourd.

    « Ce qui veut dire qu’on a une grosse tuile sur les bras ! »   Soupira Dageus. 

    « Une tuile ? » Ricana Lazarus. « Là, on a la maison en kit plutôt ! Si les Vampires ont décidé de prendre Helldown, ça va devenir un véritable champs de ruine en à peine une semaine grand maximum. » 

    « Si on a de la chance ! »  Acquiesça Izual, ses yeux rivés sur ses pieds. 

    Il semblait prendre l’information d’une manière personnelle et ça le blessait, visiblement. Heilin ne connaissait pas toute son histoire mais elle savait ce que c’était de voir réapparaître ses cauchemars en chairs et en os. Elle le vivait aussi en ce moment. 
    Un frisson la parcourut alors qu’elle revoyait les yeux rouges de son agresseur. Elle chassa son souvenir vivace et se concentra sur le problème actuel. 

    « Que pouvons-nous faire ? » Demanda-t-elle finalement. « Même si nous prévenons la police de Helldown ou les autorités supérieures des USA, Helldown est cataloguée Ville Morte. Nous n’aurons aucune aide… »

    « Tout au plus, ils détruiront Ygdrasil et empêcheront quiconque de sortir de la ville. Même si pour ça, ils doivent nous tuer eux-mêmes. » 

    Un silence très lourd tomba dans la pièce. 

    « Ils n’arriveront pas à contenir les Vampires ni les Goules. » Commenta Hybra.

    Izual haussa les épaules. 

    « Tu crois qu’ils vont nous écouter ? Ces abrutits derrière leurs bureaux pensent tout savoir avec leurs théories de merde ! » 

    Tous pouvaient sentir la tension envahir le HeadHunter. Lazarus posa une main sur son épaule droite. Ce simple geste sembla calmer Izual. Heilin faillit sourire, attendrit par l’amitié inébranlable de ces deux-là. Ils étaient, tous les quatre, entrés le même jour à l’Academy Soldier. Même s’ils avaient pris des voies légèrement différentes, ils s’étaient toujours bien entendus mais rien n’égalaient l’amitié d’enfance de ces deux-là. Dans une certaine mesure, Heilin les enviait par moment. Même si Loann et Kera pouvaient se dire ses meilleures amies, il ne lui viendrait pas à l’idée de leurs confier sa vie. Surtout en ce moment où tous les Non-Humains se retranchaient dans leurs propres terres en chassant les autres. 

    « Que faisons-nous alors ? » Demanda Dageus. 

    « Vous… rien ! » Trancha Lazarus en tentant de surplomber Dageus. 

    Mais ce dernier se leva du bord de table sur lequel il s’était reposé  et lui fit face, même s’il faisait une demi tête de moins, lui aussi dégageait cette puissance mortelle qui faisait froid dans le dos. Lazarus était inquiétant. C’était certain. Quiconque lui aurait fait face en cet instant aurait senti toute sa menace et qu’il le descendrait sans l’ombre d’une hésitation. 
    Dageus, lui, déclenchait cette alarme stridente que tout être ayant un peu de bon sens possède  au fond de sa tête : l’instinct primitif de survie. La personne en face saurait d’instinct que Dageus prendrait plaisir à l’entendre hurler jusqu’au lever ou coucher du soleil, tous les soirs de la semaine. 
    Une mort lente pleine de torture a tendance à être plus impressionnante qu’une gâchette facile. Lazarus finit par demander :

    «  Pourquoi voulez-vous participer ? Ce sont les Headhunters qui ont été massacré, pas les Tigres. » 

    Dageus jeta un rapide regard à Heilin qui sentit cette chose abjecte au fond de ses entrailles bouger et ronronner de plaisir, puis il se tourna vers le chef du Trio et répondit d’une voix égale :

    « Heilin est ma Rind. » 

    Heilin resta pétrifiée, assimilant les paroles du Tigre-garou.

    « Minute ! Je ne suis la servante de personne ! » Se braqua-t-elle. « Et qui vous l’a dit ? Mon petit doigt ? » 

    Dageus poussa un feulement qui fit reculer d’un pas Heilin. La bête en elle reconnut dans ce rugissement, le pouvoir de son chef de Clan. 

    « Alpheus est notre Frea, elle l’a vu. » 

    Heilin fronça les sourcils. 

    « Comment ça vu ? Alpheus est le Patron des Léopards, pas la Devineresse des Tigre. » 

    Ed sourit légèrement faisant augmenter l’exaspération de son ancienne élève visiblement toujours aussi peu au courant des us et coutumes Garous malgré ses mises en garde. 

    «  Dageus a reformé le Pantheon, Line. »

    Ha oui ! Ca expliquait… Commença à se moquer Heilin en silence avant de se rendre compte de ce que les paroles d’Ed combinées avec celles de Dageus voulaient signifier. 
    C’était…
    Il lui fallait de l’air au plus vite. 

    « Je reviens… » S’étrangla-t-elle avant de sortir, de prendre la voiture et de filer à travers la ville. 

    Il fallait absolument qu’elle mette de la distance, maintenant, entre elle et tout ce foutoir. 
    Un petit temps… Juste pour respirer et se remettre d’attaque. 
    Un rire nerveux passa ses lèvres se transformant en crise de fou rire. 
    Elle avait toujours su que les Garous aimaient beaucoup les mythologies, que tous les groupes existants avaient une caste avec chacun un nom de dieu qu’il soit nordique, romain ou indien. Elle trouvait ça un peu pompeux mais ça pouvait être joli…
    Tant que ça ne la touchait pas. 
    Elle était la Rind de Dageus ce qui faisait de lui, le dieu Odin. Par conséquent, le dieu du Panthéon des Garous. De tous les Garous. 
    Heilin s’arrêta devant son immeuble et posa son front contre le volant glacé. 
    Un gémissement de dépit retentit dans la voiture volée. Elle ne demandait rien elle. Elle voulait juste continuer à chasser et tuer ou voler et ramener puis rentrer chez elle pour se plaindre de son manque de vie hors de son travail.  Elle avait juste voulu vivre une vie pépère avec Avery, son fiancé, avoir une maison blanche avec des barrières blanches autour du jardin, le chien qui hurlerait et sur lequel ils crieraient en retour pour qu’il la ferme. Quelques années après le mariage, les enfants auraient grandi, ils construiraient une piscine protégée pour les y plonger lors des canicules. Il irait travailler à la poste du coin à huit heures du matin pour revenir le midi manger en famille puis repartir à treize heures pour rentrer à dix huit heures avec le souper de préparer. Les enfants iraient jouer avec leur père une heure ou deux, elle ferait la vaisselle et un peu de rangement. Ils les mettraient au lit pour ensuite passer le reste de la nuit juste tous les deux. Amoureux comme au premier jour. 
    Heilin entendit vaguement un bruit à la fenêtre de la voiture. 
    Elle grogna. Elle n’avait même plus el droit de rêver en paix pour empêcher les images du massacre de HeadHunter Corporation de revenir la hanter. Elle regarda par la fenêtre mais ne vit rien. Elle sortit dehors, aux aguets mais n’eut pas le temps de bouger qu’une masse lui tomba dessus. Heilin sentit le sol écorcher ses genoux, ses paumes de mains et son menton avant de sombrer dans l’inconscience. 

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